Elles résistent tant bien que mal au monde clinquant, brillant, climatisé et sans odeur qui prétend régir notre vie future. Mais rêve-t-on dans ce monde-là, comme on rêvait jadis dans les odeurs mêlées du safran-pays, du rhum, et…de la morue ? Les sacs et les cartons débordaient de marchandises venues d'ailleurs, qui sentaient le voyage au long cours, le tenancier notait des signes cabalistiques sur un carnet chiffonné, tout le monde ronchonnait contre lui mais il était - premier levé, dernier couché - la vie du quartier. La porte du paradis (l'antre aux victuailles où l'on pouvait acheter à crédit) voisinait celle de l'enfer (le gouffre aux buveurs où s'alignaient les minuscules et si vite engloutis verres de "sec"), dans ce raccourcis de la Création. Une épouse, parfois, venait en passant, acheter sa pinte de riz, crocheter son homme en perdition, à la grande hilarité des copains de comptoir.

Elles sont menacées et elles tiennent pourtant, les boutiques. Peut-être parce que, dans notre monde qui se veut si net (et qui mange pourtant des denrées si louches), elles restent une preuve d'existence, un commerce, comme on dit "de proximité", le ventre et le cœur d'un quartier.

Ce ne sont pas des mourantes mais des aïeules qui ont des histoires à raconter. D'ailleurs, leurs portes sont souvent ouvertes, comme des bouches, une invitation à entrer dans le mystère obscur et parfumé. Daniel Vaxelaire

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